mardi 15 juin 2010

Ecole buissonnière

Enfant, je me mettais à la fenêtre, j'aimais recevoir le soleil dans les yeux, il me semblait qu'alors le monde clignotait, les garages juste en dessous et les maisonnettes HLM sur la colline.

La vie me semblait devenir plus mystérieuse, comme l'image craquelée de mon émission favorite, lorsque l'antenne de la télévision ne captait pas bien. Alors, les bras tendus par dessus la rambarde de la porte-fenêtre, je chantais.
J'inventais paroles et musique pourtant le point central de mon œuvre, le refrain perpétuel, c'était la chanson d'Emilie Jolie. Je ne transformais pas le prénom pour qu'il ressemble plus au mien, c'était en Emilie que je voulais m'incarner, une petite fille jolie aux longs cheveux raides et aux yeux bleus. Ma voix partait dans les aigus, le plus haut possible, elle filait par dessus la colline, elle dardait ses flèches dans les nuages. J'étais convaincue qu'il se passerait quelque chose, que quelqu'un me répondrait mais il ne se passait rien.

C'était dimanche et nous allions manger chez mes grands-parents. Dans la voiture ma mère me lançait Tais-toi, tu chantes faux et elle ajoutait tu aurais pu te coiffer, regarde ta tête !
Je répondais ce n'est quand même pas de ma faute si j'ai les cheveux frisés ! Les doigts sur la vitre, je jouais à saute-mouton avec les maisonnettes HLM.

Adolescente, je claquais les portes, je fermais celle de ma chambre à clef, j'allumais de l'encens et laissais la musique faire vibrer les murs. Sur des feuilles volantes, je bâtissais des remparts de mots en lesquels je croyais plus qu'en moi-même. Quand je voulais chanter, je hurlais par dessus Maria Callas, ou Jacques Brel, ma voix fondue dans la leur, jusqu'à en avoir mal à la gorge, je pleurais et je mourrais avec eux lors d'opéras interminables.
Je savais déjà que je ne pourrais m'extraire de la réalité et je voulais me colleter avec elle de la façon la plus brutale, je voulais me battre avec elle de toutes mes forces même si je savais que je finirais disloquée, sur le sol.

Alors je traitais ma mère de conne, je me faisait belle pour aller voir mon père au cimetière, je l'insultais dans mes poèmes, j'imaginais le gout de la terre, je tombais amoureuse de garçons qui ne me regarderaient pas, j'écrivais à François Mitterrand qu'il devait retirer ses troupes du Golfe, ma lettre était belle et tellement idéaliste, j'insultais Mitterrand devant la télévision, je me cognais la tête contre les murs, je pensais que j'étais folle ou que je serais folle un jour, pourtant les garçons ne me regardaient pas et je les aimais seulement dans mes poèmes, parfois je les insultais, surtout quand ils étaient vieux ou laids.

Je n'avais pas idée à l'époque que l'on pouvait seulement s'extraire du quotidien, se cacher sous la couette en écoutant sa respiration.

Quand on y a goûté cela peut devenir une drogue.
J'en ai abusé entre vingt et vingt-cinq ans.
Un cours de philo des sciences, trois heures de solfège, un rendez-vous chez le dentiste, un amoureux négligeant, le désordre qui s'accumulait dans mon appartement et dans ma vie.. pfff, envolés, oubliés.

Dans une alcôve où j'ai longtemps dormi, je me terrais. Je ne parlais à personne, je marchais sur la pointe des pieds et sursautais en passant devant les miroirs.
Je n'écrivais pas beaucoup et je ne chantais pas. Il me suffisait de ne rien faire. J'ignorais si cela aurait une fin. Je ne pensais à rien. Et lorsque je me sentais épuisée d'avoir fait le tour du vide, je m'endormais. Et lorsque je m'éveillais, fatiguée d'avoir trop dormi, je contemplais ce qu'il me restait à vivre et tout me semblait plus facile, blanc, propre.

Je m'habillais et je sortais. Les gens que je croisais ne voyaient pas combien j'étais devenue sage, calme, lisse.
Les gens que je connaissais croyaient que je n'avais pas changé depuis la veille. Je leur souriais avec candeur. Pourquoi les détromper ?

Illustration
: Mary Jane Ansell

lundi 8 février 2010

dimanche 7 février 2010

Il faudra décrocher le père-noël

C'est une question assez gênante aussi attends-je qu'il soit occupé à préparer le café pour la lui poser. Ainsi, peut-être n'aurais-je pas à croiser son regard. Je me tiens près de la porte, prête à changer de pièce sa réponse prononcée. S'il lui prenait la fantaisie de s'étonner, de se moquer ou d'être, même, effrayé, je pourrais m'enfuir ; j'aurais changé de pièce, rejoint le salon où résonnent des airs de Haendel, ou bien la petite chambre où mon fils nage entre cachalot et poisson-scie, longtemps avant qu'il se retourne et tente de croiser mon regard.

"Il me semble qu'on a changé notre boîte aux lettres de place... Non ?"
J'articule péniblement.
Je n'avais pas prévu qu'il ne me réponde pas tout de suite. Il se retourne et me dévisage avant de prononcer le moindre mot. Suspendue à sa réponse, je me justifie, consciente de m'enliser :
"Oui, j'en suis sûre. Elle était au milieu. Tu n'as pas remarqué ? Maintenant elle est tout en haut. Mais tu n'as pas dû faire attention, la plupart du temps c'est moi qui relève le courrier... Ce n'est pas grave mais bon ça fait plusieurs fois, que machinalement, je tente de faire rentrer ma clef dans la mauvaise serrure. Enfin celle d'avant."
Je suis naïve d'avoir imaginé un seul instant qu'il pourrait s'exclamer :
"Mais oui, justement je n'osais pas t'en parler. Je croyais me faire des idées mais bien sûr que notre boîte aux lettres a été déplacée !"
Au lieu de cela il s'est rapproché de moi et me bloque la sortie. Il pose une main sur ma joue ; ce n'est pas vraiment une caresse. Tente-t-il de vérifier ma température ?
"Effectivement, me dit-il, tu es fatiguée. Excuse-moi, tu me l'avais dit mais je ne savais pas que c'était à ce point..."

J'ai encore le choix.
Mais argumenter me mettrait en colère, ou pire me donnerait l'air d'être folle, complètement siphonnée. Admettre que j'ai dû confondre, reviendrait à la même chose.
Alors, dignement, je lui tire la langue et je le pousse pour quitter la cuisine.

Cette nuit, l'histoire de la boîte aux lettres m'a empêchée de dormir. Qui a procédé au changement et pourquoi ? Si ce n'est pour me nuire, pour quelle raison a-t-on pu faire cela ? La voisine qui est à ma place et que je remplace à la sienne avait-elle du mal à atteindre sa serrure ? Et d'abord est-ce bien légal ? Après tout une boîte aux lettres c'est personnel !
J'ai déambulé dans le salon. Allongée sur le canapé j'ai parcouru le plafond du regard, à la recherche d'un nouvel hôte à huit pattes. Je n'en ai pas vu mais suspendu à la tringle à rideaux depuis mi-décembre, le père noël m'a rendu un regard écarquillé.

Illustration : Gérard Dubois

mercredi 3 février 2010

Gaga de gaga



lundi 1 février 2010

Pile ou face

J'ai souvent pensé qu'en moi cohabitaient deux parts, tant bien que mal.
L'écriture serait la part noire, née de mon besoin de recherche, de mon besoin de compréhension et d'une certaine tendance à m'échapper dans l'imaginaire.

Le chant serait la part lumineuse, bien sûr.

Il y eut des périodes où je n'étais que chanteuse. Je sortais brillamment parée, mes cheveux volaient autour de mon visage, presque électriques, mes longues robes trainaient derrière moi sans jamais m'entraver. J'étais bien trop légère pour trébucher.

Lorsque je travaillais ma voix, il m'arrivait d'être sérieuse pourtant, trop encore, et j'avais l'impression de devoir lutter encore contre la part sombre de moi-même qui tentait de m'entrainer par le fond. Il n'y a que sur scène, en public, que je réussissais à laisser à mes pieds la gangue de tristesse et de réflexion qui m'empêchait de vivre tout le temps, de vivre pleinement.

Alors je me sentais en parfaite adéquation avec ce que je voulais être : forte, puissante, entendue et aussi capable de montrer ma fragilité sans être foudroyée.
Les applaudissements étaient comme, à la fin, les crépitements du feu que j'avais extériorisé.

Dans l'écriture je suis seule, lente, pesante. Je ne suis qu'une tête. Laborieuse, je ne cherche pas à briller ni à être écoutée mais à donner la vision de ce que j'ai senti. L'interprète en musique est traversée, habitée d'une musique sublime, mystérieuse, passionnée. L'auteur se déleste de sa propre chair en tranchant dans le vif, interprète cette fois, d'une réalité trop dure pour se sentir transcendé d'en être traversé.

Sauf que le blog bouscule cette conception simpliste et néanmoins rassurante que j'avais élaborée.
Je le sens, là, alors que je reviens sur la pointe des pieds. Il me semble que je pénètre sur une scène déserte ; aveuglée par les projecteurs, je ne vois du public qu'une masse indistincte dont je devine qu'elle ne perd pas un de mes gestes, pas une de mes hésitations, pas une de mes maladresses.
Les dés sont pipés. Alors que je n'ose plus, depuis des mois, être une chanteuse, comment puis-je revenir ici ?

Photographie : Désirée Dolron