mardi 17 décembre 2013

L'hiver, même les araignées migrent

Vous pourrez dorénavant me lire là : http://cantatricefauve.blogspot.fr/.

jeudi 15 décembre 2011

Bof

Auguste Revue a publié ma nouvelle Bof pour son deuxième numéro... Je vous invite à la lire ainsi que tous les autres textes.

vendredi 21 janvier 2011

Journal de Turquie - Jour 3 - 3 janvier

Dans le car, Yusuf, le guide, nous raconte des choses de sa vie, des anecdotes drôles sur les touristes et sur lui-même. Il a un visage rond et doux comme une lune, sans cheveux ni sourcils et des yeux bleu pâle tombant sur les côtés. Il rit en fermant les yeux et en disant merci, car, explique-t-il, il ne rit pas souvent.

Ce matin il a interrompu d’une boutade un débat sur les religions. Il nous expliquait les préceptes musulmans, les péchés d’un musulman d’aujourd’hui et une femme de notre groupe – que B. et moi appelons la prof a lancé qu’un musulman qui pèche n’est plus un musulman. Yusuf a tenté de lui expliquer qu’un musulman qui pèche est un musulman qui a commis une faute tout comme un chrétien qui pèche reste chrétien ; les deux doivent demander pardon et continuer d’avancer si possible dans le droit chemin.

Comme la prof s’entêtait il a lancé « L’architecture d’Antalya, comme vous l’avez remarqué… » et tout le monde a éclaté de rire sauf la prof qui a continué de parler fort avec sa voisine que B. et moi appelons mademoiselle-je-sais-tout.

B. et moi plaisantons souvent sur notre invisibilité. Les premiers jours, nous nous sommes poliment assis à des grandes tables avec des gens de notre groupe qui parlaient à deux, trois ou quatre sans se soucier de nous inclure. J’ai tenté de poser quelques questions mais soit l’on ne m’entendait pas du tout, soit l’on me répondait de façon elliptique.

Un déjeuner avec la prof et mademoiselle-je sais-tout s'est terminé de façon comique : nous nous faisions du pied sous la table en riant, un jeune couple était parti se disputer et les deux femmes chuchotaient. En regardant B. dans les yeux j'essayais d'entendre ce que disait la jeune. Elle parlait d'enfant, de père qui ne faisait jamais de cadeau, de problèmes de couple mais je ne parvenais pas à assembler les bribes que je comprenais pour en faire une histoire. B., qui attendait que je lui raconte tout, est resté sur sa faim.

En dessert nous avons décidé de goûter un gâteau gluant marron. Mademoiselle-je-sais-tout, qui avait fini de chuchoter avec sa voisine, est devenue blême de jalousie ; elle qui se risquait à échanger des phrases en turc avec les serveurs, n'avait pas osé pousser l'esprit d'aventure jusqu'à goûter la pâtisserie la moins appétissante du buffet. Elle a tendu sa petite cuillère vers mon assiette, comme je l'y invitais et elle a recraché la bouchée dans sa serviette en papier, encore plus blême. B. et moi qui avions abandonné la dégustation avons fini l'assiette, le regard au loin, tels des Clint Eastwood jumeaux.

Une autre fois nous avions choisi une table au hasard et une Vietnamienne qui voyageait seule s'était assise en face de moi. La conversation avait mal commencé malgré ma motivation. Elle m'avait demandé comment je trouvais la chanteuse qui animait la salle de restaurant le soir. J'avais répondu "elle miaule", en haussant les épaules. Ce n'est pas parce que j'étais contente qu'elle se soit assise en face de moi que j'allais mentir. "Oh, je trouve qu'elle chante bien, moi", avait-elle répondu, boudeuse. Pour ne pas la blesser plus j'avais choisi de ne pas développer ma critique, ce qui m'avait mise de mauvaise humeur moi aussi.

A notre gauche quatre retraités nous ignoraient évidemment. La plus antipathique des quatre en blouson de fourrure parlait des nombreux voyages qu'elle avait fait, comparant la Turquie au reste du monde, faisant des amalgames grotesques. Son mari semblait moins bête mais quand il prenait la parole c'était pour raconter des blagues, ce qu'elle ne goûtait guère - et nous non plus qui n'entendions jamais la fin. Le couple qui les accompagnait paraissait s'amuser. Je n'arrêtais pas de me tourner vers l'homme assis à ma gauche : sa tête de nounours méchant me fascinait.

Nous avons dorénavant cessé de tenter de nous inclure et nous sommes à peine polis. Les groupes se forment par affinité, les jeunes entre eux, les vieux entre eux et nous qui nous demandons si nous sommes beaucoup plus vieux que les jeunes et qui donnons à manger aux chats sous la table. Le soir, dans la baignoire immense, je me morfonds. Comment peut-on, à notre âge, se sentir humiliés d'être ignorés comme en sport, au lycée, quand nous étions les derniers que l'on voulait dans une équipe ?

"S'ils savaient ce qu'ils perdent, essaie de me réconforter B." Je soupire. J'ai un peu mal au ventre depuis la pâtisserie marron.

Plus tard, nous descendons à la salle à manger. Nous ne nous lâchons pas d'une semelle et nous cherchons une petite table avec quatre couverts maxi. Sur les sièges vacants, nous posons nos sacs et foulards et nous partons remplir nos assiettes au buffet. Ce soir je mangerais des crudités toutes simples et B. des frites. "Tiens, quand elle chante en italien, la chanteuse ne miaule plus, remarqué-je.

- Elle bêle, répond B."

Nous pouffons, de concert. En passant près d'elle, je salue la Vietnamienne mais elle ne semble pas me voir. Son regard me traverse.

Illustration : Aron Wiesenfeld

mercredi 19 janvier 2011

Journal de Turquie - Jour 2 - 2 janvier

Aujourd’hui la Turquie ressemblait à l’Ecosse, pluvieuse, noyée sous la brume. Nous avons marché au milieu des vestiges de Hierapolis, près de Pamukkale, photographiant sarcophages et tumulus. Comment ne pas être mélancolique me disais-je tandis que les souvenirs et les mythes affluaient sans que je les invoque, fantômes écossais, vieilles images d’un film sur le chien des Baskerville ? Puis je songeais à la définition de la mélancolie par le psychiatre de l’hôpital où j’ai dû faire interner ma petite sœur juste après Noël : seuil le plus bas des états dépressifs. Quel joli nom, m’étais-je dit, pour une chose si grave.

Depuis que nous avons quitté Paris je me méfie de ma propension à transformer les voyages en ménage de printemps mental. Je sens que je n’aurais pas la force de supporter une réflexion profonde. J’essaie de ne penser à rien. Je regarde, je goûte. Je ne commente pas car ce serait déjà faire acte de réflexion. B. et moi ne parlons pas beaucoup, il ne me demande rien, c’est moi qui de temps en temps l’interroge sur ses raisons de se taire. Je ne trouve pas ça normal ce silence entre nous. Si je me tais il devrait parler pour moi. Il me regarde interloqué et quand il tente de m’expliquer qu’il n’en pense pas moins, je l’interromps. Soutenir une discussion, cela m’est impossible.

Parfois, je suis d’une telle vacuité que je m’endors dès que je suis en position assise ou couchée. Je lis des romans policiers. Dans le dernier, le tueur psychopathe est un maniaco-dépressif qui a hérité sa maladie de son grand-père et l’a transmise à ses fils. Les effets sur le reste de la famille sont dévastateurs de toute façon. Mauvais choix de lecture mais c’est le numéro 3 des 5 livres que j’ai emmenés et je sais que bientôt je les aurais tous finis. Je ne peux me permettre d’en laisser un de côté. Et si je n’arrive pas à m’endormir les questions affluent : qu’allons-nous devenir ? Qu’allons-nous tous devenir ?

Illustration : Aron Wiesenfeld

mardi 18 janvier 2011

Journal de Turquie - Jour 1 - 1er janvier

Avant-hier, nous avons quitté Lyon pour Paris où nous allions préparer nos valises pour la Turquie et je me suis sentie soulagée. Honteuse bien sûr d'être soulagée. Mais soulagée.

Il s’est passé quelque chose de tragique mais je vais m’en éloigner, je vais m’en détacher, je vais retrouver mon existence qui a un sens, loin des déchirements du passé, je vais me relever doucement après que moi et ceux que j'aime se soient faits rouer de coups, je vais continuer d'avancer.

En même temps, j'ai eu l’impression que l’on m’ôtait un membre sans anesthésie, on m’arrachait le cœur. Les paysages glissaient le long de l’autoroute et je me retenais de pleurer. Ne pleure pas ou les choses seront pires qu’elles ne le sont : elles seront visibles par tous.

Ce matin, pour la première fois depuis cinq ans, j’ai dit au revoir à mon fils pour une semaine entière. Nous n’avons pas pleuré, tout s’est passé dans la joie mais je sais que la semaine sera longue sans lui. Dans l’avion, les sensations se sont mélangées. Le départ déchirant de Lyon, et la séparation avec Zacharie.

Au milieu des nuages, une boule d’angoisse : moi.

Illustration : Aron Wiesenfeld

mardi 11 janvier 2011

2011



Alors, bonne année !

mardi 15 juin 2010

Ecole buissonnière

Enfant, je me mettais à la fenêtre, j'aimais recevoir le soleil dans les yeux, il me semblait qu'alors le monde clignotait, les garages juste en dessous et les maisonnettes HLM sur la colline.

La vie me semblait devenir plus mystérieuse, comme l'image craquelée de mon émission favorite, lorsque l'antenne de la télévision ne captait pas bien. Alors, les bras tendus par dessus la rambarde de la porte-fenêtre, je chantais.
J'inventais paroles et musique pourtant le point central de mon œuvre, le refrain perpétuel, c'était la chanson d'Emilie Jolie. Je ne transformais pas le prénom pour qu'il ressemble plus au mien, c'était en Emilie que je voulais m'incarner, une petite fille jolie aux longs cheveux raides et aux yeux bleus. Ma voix partait dans les aigus, le plus haut possible, elle filait par dessus la colline, elle dardait ses flèches dans les nuages. J'étais convaincue qu'il se passerait quelque chose, que quelqu'un me répondrait mais il ne se passait rien.

C'était dimanche et nous allions manger chez mes grands-parents. Dans la voiture ma mère me lançait Tais-toi, tu chantes faux et elle ajoutait tu aurais pu te coiffer, regarde ta tête !
Je répondais ce n'est quand même pas de ma faute si j'ai les cheveux frisés ! Les doigts sur la vitre, je jouais à saute-mouton avec les maisonnettes HLM.

Adolescente, je claquais les portes, je fermais celle de ma chambre à clef, j'allumais de l'encens et laissais la musique faire vibrer les murs. Sur des feuilles volantes, je bâtissais des remparts de mots en lesquels je croyais plus qu'en moi-même. Quand je voulais chanter, je hurlais par dessus Maria Callas, ou Jacques Brel, ma voix fondue dans la leur, jusqu'à en avoir mal à la gorge, je pleurais et je mourrais avec eux lors d'opéras interminables.
Je savais déjà que je ne pourrais m'extraire de la réalité et je voulais me colleter avec elle de la façon la plus brutale, je voulais me battre avec elle de toutes mes forces même si je savais que je finirais disloquée, sur le sol.

Alors je traitais ma mère de conne, je me faisait belle pour aller voir mon père au cimetière, je l'insultais dans mes poèmes, j'imaginais le gout de la terre, je tombais amoureuse de garçons qui ne me regarderaient pas, j'écrivais à François Mitterrand qu'il devait retirer ses troupes du Golfe, ma lettre était belle et tellement idéaliste, j'insultais Mitterrand devant la télévision, je me cognais la tête contre les murs, je pensais que j'étais folle ou que je serais folle un jour, pourtant les garçons ne me regardaient pas et je les aimais seulement dans mes poèmes, parfois je les insultais, surtout quand ils étaient vieux ou laids.

Je n'avais pas idée à l'époque que l'on pouvait seulement s'extraire du quotidien, se cacher sous la couette en écoutant sa respiration.

Quand on y a goûté cela peut devenir une drogue.
J'en ai abusé entre vingt et vingt-cinq ans.
Un cours de philo des sciences, trois heures de solfège, un rendez-vous chez le dentiste, un amoureux négligeant, le désordre qui s'accumulait dans mon appartement et dans ma vie.. pfff, envolés, oubliés.

Dans une alcôve où j'ai longtemps dormi, je me terrais. Je ne parlais à personne, je marchais sur la pointe des pieds et sursautais en passant devant les miroirs.
Je n'écrivais pas beaucoup et je ne chantais pas. Il me suffisait de ne rien faire. J'ignorais si cela aurait une fin. Je ne pensais à rien. Et lorsque je me sentais épuisée d'avoir fait le tour du vide, je m'endormais. Et lorsque je m'éveillais, fatiguée d'avoir trop dormi, je contemplais ce qu'il me restait à vivre et tout me semblait plus facile, blanc, propre.

Je m'habillais et je sortais. Les gens que je croisais ne voyaient pas combien j'étais devenue sage, calme, lisse.
Les gens que je connaissais croyaient que je n'avais pas changé depuis la veille. Je leur souriais avec candeur. Pourquoi les détromper ?

Illustration
: Mary Jane Ansell

lundi 8 février 2010

dimanche 7 février 2010

Il faudra décrocher le père-noël

C'est une question assez gênante aussi attends-je qu'il soit occupé à préparer le café pour la lui poser. Ainsi, peut-être n'aurais-je pas à croiser son regard. Je me tiens près de la porte, prête à changer de pièce sa réponse prononcée. S'il lui prenait la fantaisie de s'étonner, de se moquer ou d'être, même, effrayé, je pourrais m'enfuir ; j'aurais changé de pièce, rejoint le salon où résonnent des airs de Haendel, ou bien la petite chambre où mon fils nage entre cachalot et poisson-scie, longtemps avant qu'il se retourne et tente de croiser mon regard.

"Il me semble qu'on a changé notre boîte aux lettres de place... Non ?"
J'articule péniblement.
Je n'avais pas prévu qu'il ne me réponde pas tout de suite. Il se retourne et me dévisage avant de prononcer le moindre mot. Suspendue à sa réponse, je me justifie, consciente de m'enliser :
"Oui, j'en suis sûre. Elle était au milieu. Tu n'as pas remarqué ? Maintenant elle est tout en haut. Mais tu n'as pas dû faire attention, la plupart du temps c'est moi qui relève le courrier... Ce n'est pas grave mais bon ça fait plusieurs fois, que machinalement, je tente de faire rentrer ma clef dans la mauvaise serrure. Enfin celle d'avant."
Je suis naïve d'avoir imaginé un seul instant qu'il pourrait s'exclamer :
"Mais oui, justement je n'osais pas t'en parler. Je croyais me faire des idées mais bien sûr que notre boîte aux lettres a été déplacée !"
Au lieu de cela il s'est rapproché de moi et me bloque la sortie. Il pose une main sur ma joue ; ce n'est pas vraiment une caresse. Tente-t-il de vérifier ma température ?
"Effectivement, me dit-il, tu es fatiguée. Excuse-moi, tu me l'avais dit mais je ne savais pas que c'était à ce point..."

J'ai encore le choix.
Mais argumenter me mettrait en colère, ou pire me donnerait l'air d'être folle, complètement siphonnée. Admettre que j'ai dû confondre, reviendrait à la même chose.
Alors, dignement, je lui tire la langue et je le pousse pour quitter la cuisine.

Cette nuit, l'histoire de la boîte aux lettres m'a empêchée de dormir. Qui a procédé au changement et pourquoi ? Si ce n'est pour me nuire, pour quelle raison a-t-on pu faire cela ? La voisine qui est à ma place et que je remplace à la sienne avait-elle du mal à atteindre sa serrure ? Et d'abord est-ce bien légal ? Après tout une boîte aux lettres c'est personnel !
J'ai déambulé dans le salon. Allongée sur le canapé j'ai parcouru le plafond du regard, à la recherche d'un nouvel hôte à huit pattes. Je n'en ai pas vu mais suspendu à la tringle à rideaux depuis mi-décembre, le père noël m'a rendu un regard écarquillé.

Illustration : Gérard Dubois

mercredi 3 février 2010

Gaga de gaga