Il sont quatre et leurs mouvements furtifs dans le renfoncement d'une entrée de boutique attirent mon attention. Ils se serrent les uns contre les autres, le regard dissimulé par des capuches ; je distingue seulement la bouche de l'un d'eux, hilare, le rougeoiement de la cigarette d'un autre. Ils se penchent avec des mines de comploteurs, leurs têtes se heurtent. Entre leurs mains, ils tiennent des brassées de livres. Ils les comptent et les manipulent sans tendresse. Où les ont-ils trouvé? Je me dis que ce sont peut-être leurs livres de cours mais ce n'est guère plausible, car les volumes ont la taille de romans plutôt que de manuels scolaires, des couvertures colorées qui se retirent et qui bientôt planent au-dessus de leurs têtes.
Au même moment, ils entreprennent d'ouvrir un livre, circonspects, presque méfiants ; celui qui souriait prend un air dégouté, et tandis qu'ils les saisissent, le reste des livres mal calé sous leurs bras tombe sans qu'aucun ne fasse mine de les ramasser. La poussière des travaux qui s'élève m'évoque des paroles bibliques, je pouffe puis je cesse de pouffer, honteuse.
Après une seconde, celui qui souriait éclate de rire et referme son roman, il se cogne contre les murs et se bat les cuisses, satisfait de rire. Un petit, dont les bourrelets ondulent sous le tee-shirt, rapproche une page de son visage jusqu'à la toucher du bout du nez. Entre ses mains l'ouvrage semble fragile, sa tranche plie et cède. Il fait très sombre de leur côté de la rue car les lampadaires tout neufs ne fonctionnent pas encore.
C'est alors que les choses dégénèrent. Le petit gros reçoit le roman de celui qui souriait sur le coin du menton. Aussitôt le désir de vengeance supplante la curiosité qui lui faisait cligner des yeux dans l'obscurité. Prenant appui sur une barrière des travaux, il bascule de l'autre côté, poursuivant l'autre péniblement. Son livre l'atteint à la nuque et il devient bientôt aussi hilare que son comparse. Et tandis que leur deux collègues, indifférents à la scène partagent une cigarette, surprenant les passants qui ne les découvrent qu'au dernier moment, immobiles, silencieux dans leur renfoncement, ils continuent à se jeter ces pavés sans révolution...
Au même moment, ils entreprennent d'ouvrir un livre, circonspects, presque méfiants ; celui qui souriait prend un air dégouté, et tandis qu'ils les saisissent, le reste des livres mal calé sous leurs bras tombe sans qu'aucun ne fasse mine de les ramasser. La poussière des travaux qui s'élève m'évoque des paroles bibliques, je pouffe puis je cesse de pouffer, honteuse.
Après une seconde, celui qui souriait éclate de rire et referme son roman, il se cogne contre les murs et se bat les cuisses, satisfait de rire. Un petit, dont les bourrelets ondulent sous le tee-shirt, rapproche une page de son visage jusqu'à la toucher du bout du nez. Entre ses mains l'ouvrage semble fragile, sa tranche plie et cède. Il fait très sombre de leur côté de la rue car les lampadaires tout neufs ne fonctionnent pas encore.
C'est alors que les choses dégénèrent. Le petit gros reçoit le roman de celui qui souriait sur le coin du menton. Aussitôt le désir de vengeance supplante la curiosité qui lui faisait cligner des yeux dans l'obscurité. Prenant appui sur une barrière des travaux, il bascule de l'autre côté, poursuivant l'autre péniblement. Son livre l'atteint à la nuque et il devient bientôt aussi hilare que son comparse. Et tandis que leur deux collègues, indifférents à la scène partagent une cigarette, surprenant les passants qui ne les découvrent qu'au dernier moment, immobiles, silencieux dans leur renfoncement, ils continuent à se jeter ces pavés sans révolution...
17 commentaires:
AH... les petits moments de vie capturés dans la toile de l'araignée :)
En attendant, l'objet livre, y pas mieux.
Très beau tableau urbain que tu nous dépeins là... J'ai mal pour les livres en te lisant ! Ça me rappelle une vision tout aussi étrange dans un beau quartier de Paris où toutes les poubelles des rues étaient remplies de livres...
Hilares, hilares... Moi j'veux bien m'enfin ça fait mal ! C'est pas des boule de neige non plus.
Chouette de te relire.
terrible... que ces pauvres livres finissent ainsi... comme des objets de détente... primaire.
J'ai parfis entendu à propos des livres que c'était déjà bien de se familiariser avec l'objet.
Vous ne deviendriez pas un peu réactionnaire sur les bords, vous ? Il faut bien que les jeunes se dépensent avec ce qui leur tombe sous la main, vous êtes marrante !
Didier, vous voyez des réacs partout ! C'est inquiétant.
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Zo,
c'est vif comme un éclair d'été !
ils viennent de trouver une benne dans laquelle un éditeur avait balancé les 599 titres qui n'ont pas survécu à la rentrée littéraire... pour les envoyer au pilon
pour beaucoup (et surtout ceux qui en vivent) le livre EST un objet, ne leur jetons pas un exemplaire de la trilogie de Tolkien en pleine tronche !
Au moins le p'tit gros a t'il eu un aperçu d'à quel point la culture peut faire mal si elle est envoyée dans la nuque :)
Rien à voir mais ça me fait penser au cartable de ma fille qui vient d'entrer en 6ième. 25 kgs de livres pour un poids plume de la porteuse de 30. hm... je vais lui conseiller de faire des batailles de livres pour l'alléger. :)
Zette,
Merci pour ton petit mot et bien d'accord avec toi !
Marie-Georges,
Moi aussi j'ai eu mal ! J'ai dû me retenir de sortir voir les titres de plus près...
Ton histoire est fascinante mais tu ne nous dis ni comment tu as découvert le contenu des poubelles, ni si tu en as trouvé des intéressants ?
Anna de Sandre,
Alors comme ça on change de pseudo ? Contente de te relire aussi :))
Charlemagnet,
Eh oui...
Aude,
Ah ah ! Ce sera déjà ça de fait alors !
Didier,
Je suis ravie ! Vous avez laissé exactement le commentaire que j'attendais ! Je me suis dit la même chose aussi et mon époux avait suggéré que j'intitule le billet "Pour faire plaisir à mon ami Didier Goux..." Comme quoi...
Dorham,
Il a raison (pour une fois ;)! )
Je suis contente de te voir par ici... Même si je connais les tristes raisons de ton retour...
Gaël,
Ton point de vue est un peu pessimiste... mais tu traduis bien une des choses que je voulais faire passer...
Arf,
Ouah ! C'est terrible ! Le pire c'est que chaque année la question se pose !
Toi au moins tu te fais pas engueuler par Suzanne pour ton orthographe !! je vais faire ça, tiens, des djeunes qui font des combats de rues en s'éclatant des violons dans la tête !
Je profite de ton retour pour te dire que j'ai, enfin!, lu tes deux nouvelles chez Filaplomb.
J'ai passé deux moments délicieux. L'ombre de ton chat m'a mis les larmes aux yeux et le Matin-bonheur de Monsieur Clap m'a fait penser aux histoires du Passe-Muraille de Marcel Aymé.
Ravie de te relire.
Le savoir est une arme, c'est bien connu.
Balmeyer,
Rhoo, pleure pas baby !
Enfantissages,
Merci pour ton petit mot qui me fait très plaisir (il faut décidément que je relise du Marcel Aymé !)...
Fishturn,
Oui... Et un jouet parfois...
ben oui, ça arrive. Il suffit de manquer de quelque chose d'essentiel pour ne pas ouvrir les livres de pandore...
Certains les brûlent pour se chauffer.
Cela m'a tenu en haleine. C'est bien d'avoir encore la possibilité de choisir le titre de tes billets...
Content de te lire après ce temps.
J'ai trouvé Pennac dans une benne, prêt à être mis dans une balle de papier-carton, tout neuf qu'il était le Pennac, Comme un roman.
Les poubelles son pleines de véités.
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