mardi 30 juin 2009

Une lettre

"Elisabeth,

Sur l'injonction tacite de ton fils, nous voilà conduits à nous voir pour Noël. Quels mots peut-on trouver pour recouvrir plus de cinq ans de bannissement ? Je crains qu'il n'y en ait pas ou qu'il faille une force d'âme telle que tu ne saurais la trouver en toi. Toujours mon vieux principe, ne pas agir au delà de sa capacité à réparer. C'est assez injuste mais ainsi Junon peut presque tout se permettre parce qu'elle peut presque tout réparer. D'autres peuvent peu sinon se laisser pardonner. Ainsi toi et ton mari qui furent tous deux trop couverts d'indulgence. Mais la démesure, la folie, la violence de cette nouvelle structure familiale ont atteint des limites que je n'imaginais pas. Nous sommes ici en plein mythe et je ne sais pas de quel mythe il s'agit. Que se passera-t-il à Noël ? Rien, bien évidemment. Mais peut-être le malaise une fois énoncé, il nous sera plus facile de l'endurer et de se protéger derrière une douce chape d'ennui.

Je connais peu de gens qui furent autant haïs que moi et à chaque fois je m'en étonne. Pourtant, j'imagine que d'une façon ou d'une autre, je dois bien le désirer. Alignant les mots avec mon stylo, je m'amuse en songeant que cette lettre semble tout droit sortie d'une parodie de Kafka. Elle ferait un bon début de nouvelle.

C'est donc comme si toutes ces tentatives d'assassinat mental et social avaient eu l'heureuse fonction de me transformer en personnage et de transmuer ma vie en roman. Pendant quatre ans voir mes parents dans des cafés quand ils passaient à Paris parce que ma présence puait sans que je sache jamais pourquoi, être toléré chez mon frère cadet ,navré, comme un prisonnier en cavale, apprendre de ving sources différentes que quand ma soeur ne me niait pas, elle prêtait main forte ou main molle aux attaques les plus indécentes qui s'organisaient contre moi, à tout ceci qui est mal décrit à travers le prisme un peu bête de ma solitude, il n'y a pas de mot qu'on puisse ajouter.
Quel mot pourrais-tu désormais écrire qui performe une douceur sans mièvrerie après une telle curée ? La voix peut performer bien plus, je le jure, dit-on au tribunal. Ce dernier paragraphe confus pour te dire que j'ai bien conscience que ce courrier n'appelle pas de réponse. Tu n'en trouverais pas les mots et de cela je ne t'en veux pas. Simplement je te regarde aujourd'hui avec une pitié fraternelle. Sœur imprudente, ô, tu as grandement offensé ton sang et comme une petite fille devant un vase cassé, tu ne sauras le recoller. Ce n'était pas ta faute, ni celle du vase, c'était un jeu idiot qui a mal tourné.

Henri"



Illustration : Abominable, Mark Ryden

6 commentaires:

Christophe Sanchez a dit…

"Sur l'injonction tacite de ton fils ..." déjà ça partait mal !
puis on arrive à " assasinat mental ", whaouah, pour finir en "pitié fraternelle ".

c'est fort et dur !

Zoridae a dit…

Arf,

Tout le film est comme ça...

Didier Goux a dit…

Mais c'est quoi ? Une illustration de la paranoïa ordinaire ? Un exemple de la manière dont il ne faut pas écrire si l'on tient à être compris ?

Zoridae a dit…

Didier,

Ah, vous voyez les choses comme ça ? Oui peut-être...

Christophe Sanchez a dit…

j'écoute la BO depuis tout à l'heure. J'aime bien. Un truc à me pousser à m'abonner à music me.

ou alors, je tire la langue à MAM et je télécharge !

vais réfléchir...

Zoridae a dit…

Arf,

Alors ? Alors ? Qu'as-tu fait finalement ?
;)